La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) organise une journée d’étude sur le respect de la présomption d’innocence par les médias audiovisuels
La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) a organisé le mardi 26 septembre 2017 une journée d’étude pour mener une réflexion profonde autour des méthodes et mécanismes du "Respect du principe de présomption d'innocence et des procédures judiciaires par les médias audiovisuels", et ce, dans le cadre de la mise à jour de la recommandation du Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle (CSCA) publiée en 2005.
Ont participé à la session inaugurale de cette rencontre, M. Mustapha Ramid, Ministre d’Etat chargé des Droits de l’Homme, M. Mohamed Aujjar, Ministre de la Justice, M. Mohamed Laaraj, Ministre de la Culture et de la Communication et M. Mohamed Essabbar, Secrétaire Général du Conseil National des Droits de l’Homme. Cette journée a également connu la participation des opérateurs de la communication audiovisuelle, publics et privés, des représentants des services gouvernementaux concernés, des institutions nationales judiciaires et sécuritaires, ainsi que des instances de formation et de recherche dans les domaines médiatique et judiciaire.
Dans son allocution inaugurale, Mme. Amina Lemrini Elouahabi, Présidente de la HACA, a mis l’accent sur le rôle de la communication et de la justice, deux éléments d’une même équation qui confronte les valeurs et principes des droits de l’Homme, du fait les différences qui existent en termes de logique de fonctionnement et de temporalité entre les médias et la justice ». Elle a également souligné la notion de « justice médiatique », qui renvoie à la couverture médiatique de certains faits d’une manière qui entraine les médias jusqu’à prononcer des sentences à l’encontre de personnes avant même que la Justice ne se soit prononcée. Ce qui constitue une atteinte au principe de présomption d'innocence conditio sine qua non d’un procès équitable.
Par ailleurs, la Présidente a rappelé que le principe du respect de la présomption d'innocence et la couverture des procédures judiciaires par les médias audiovisuels représentent l’un des premiers chantiers de la Haute Autorité, qui a publié en 2005 une recommandation à ce sujet, en considérant «la question de la dignité humaine comme l’une des composantes de l'ordre public, étant donné que la garantie de la mise en œuvre de ce principe par les médias audiovisuels fait partie intégrante de leur responsabilité et ce, conformément aux lois en vigueur, sans que cela n’affecte leur liberté éditoriale, qui fonde l’exercice médiatique et qui constitue la base de la garantie du droit à l’information ».
Mme. Lemrini a aussi attiré l’attention sur le besoin impératif de la révision de la Recommandation de la HACA qui remonte à 2005, en concordance avec les nouvelles dispositions constitutionnelles et légales pertinentes, et avec l’expérience cumulée du CSCA en matière de régulation, son traitement des dossiers relatifs à la présomption d’innocence, suite aux plaintes reçues ou en s’auto saisissant sue la base du suivi des programmes.
Lors de cette session, les participants ont unanimement convenu de l'importance de cette initiative, qui invite au dialogue entre toutes les parties concernées.
Pour sa part, M. Ramid a indiqué que la présomption d'innocence est au centre de la Justice, puisque toutes les conventions onusiennes édictent le respect de ce principe, considéré comme un droit humain universellement reconnu. Il a également précisé que la liberté d'opinion et d'information est une liberté absolue, pourvu qu'elle respecte la dignité humaine et la présomption d’innocence, qui pose le principe suivant lequel tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement définitivement établie. Monsieur le Ministre a proposé l’organisation de sessions de formation dédiées aux journalistes et acteurs audiovisuels, en exhortant les opérateurs à recourir à la compétence de journalistes spécialisés dans le domaine juridique.
Quant à M. Mohamed Aujjar, il a illustré son intervention par les cas de plaintes déposées au Ministère de la Justice par les personnes lésées, en particulier les détenus, ajoutant que ces violations concernent, notamment, la présomption d’innocence, la confidentialité de l'enquête, la publication de photographies et des noms de certains suspects, sans oublier le détournement par certaines parties du contenu des communiqués qui émanent de certaines parties. M. Aujjar a également noté que la garantie de l'équilibre entre la liberté de communication et le bon fonctionnement de la Justice demeure une équation difficile à résoudre, en l'absence d'un cadre juridique réglementant la couverture médiatique des décisions judiciaires, ce qui nécessite des efforts intensifs de la part de l’ensemble des parties prenantes.
De son côté, M. Mohammed Laaraj a insisté sur le fait que le principe du respect de la présomption d'innocence pose une problématique fondamentale liée principalement à la conciliation de trois sous-problématiques. La première concerne les développements qualitatifs liés à la communication et aux acquis en matière de liberté d'expression et d'indépendance des médias. La deuxième, poursuit-t-il, concerne le domaine des droits et des libertés publiques, ainsi que celui des garanties qui relèvent de la présomption d'innocence. Quant à la troisième problématique, elle concerne l’accompagnement des dispositions légales relatives aux procédures pénales, tout en gardant présent à l’esprit le cadre légal et règlementaire régissant la communication audiovisuelle en rapport avec le sujet traité, particulièrement le principe du respect de la dignité humaine.
Intervenant à son tour, M. Mohammed Essabbar a considéré que certains services audiovisuels et médias sont "aveuglés" par le scoop et l'obsession de susciter le « buzz », au-delà du respect du principe de présomption d’innocence et de la confidentialité de l’enquête, soulignant qu’ils procèdent à la publication des noms de certaines personnes, des détails de leur vie privée, de leurs photos ou bien des photos de leurs victimes, ce qui constitue une violation flagrante dudit principe et une atteinte grave à la réputation des individus, des familles des délinquants présumés et des victimes. La présomption d’innocence ne concerne pas uniquement la Justice et les tribunaux, mais aussi toutes les composantes de la société, les institutions et les médias, souligne-t-il.
Dans son exposé, M. Bouchaib Ouabbi, membre du Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle et coordinateur de la Commission chargée de « la présomption d'innocence », dont Mmes Khadija El Gour, Rabha Zeidguy et M. Mohamed Abderrahim sont également membres, a soulevé la problématique du traitement des questions judiciaires par les services de communication audiovisuelle, notamment en ce qui concerne le principe du respect de la présomption d’innocence. Il a également présenté des analyses autour des rapports élaborés par la HACA et des décisions prises par le CSCA. A ce propos, il a rappelé que le CSCA a pris un total de 26 Décisions de sanction à l’égard des opérateurs publics et privés, sur la période s’étalant de 2006 à 2016, en lien direct avec le non-respect des conditions établies pour la couverture des procédures judiciaires, y compris celles relative à la présomption d’innocence et à la vie privée, dont 77% ont été publiées entre 2015 et 2016.
Pour clore, M. Ouabbi a présenté plusieurs résultats et recommandations découlant des activités de la Haute Autorité, notamment en rapport avec le devoir du respect du jeune public dans les contenus médiatiques traitant des affaires judiciaires, de la distinction entre les scènes réelles et les mises en scène, ainsi que de l’optimisation des missions dévolues aux comités des opérateurs, chargés de la question déontologique, sans oublier l’importance de la formation et la mise en place d’une Charte morale, et l’élaboration d'un glossaire juridique de référence.
Présidant la table ronde de cette journée d’étude, Mme Rabha Zeidguy a mis l’accent sur le fait que les contenus médiatiques consacrés aux procédures judiciaires posent plusieurs problématiques relatives à l’équilibre entre, le respect de la vie privée, de la dignité humaine, des règles de couverture des procédures judiciaires et la garantie du droit d’accès à l’information comme l’un des piliers de la liberté de la communication audiovisuelle. Elle a également insisté sur le rôle de la HACA qui a opté pour l’approche droit de l’Homme et dont l’action ne se cantonne pas à sanctionner les manquements des opérateurs audiovisuels, mais également à les sensibiliser sur l’importance de leur rôle dans la construction d’un Etat démocratique, respectueux des droits de chacun et de tous.
Les participantes et participants ont insisté sur l’importance de consolider la culture des droits de l'Homme, en particulier ceux relatifs au respect du principe de la présomption d'innocence et du droit à la vie privée, en soulignant la nature des contraintes qui entravent les possibilités de coopération et de collaboration entre les parties concernées, en plus du besoin impératif d'établir un cadre juridique et réglementaire unifié pour définir la couverture médiatique du cadre judiciaire, tout en respectant les avancées liés à la liberté d'expression et à l'indépendance des médias. Les participants ont également exprimé l'importance de la formation de journalistes spécialisés dans ce domaine et de la création de partenariats entre les institutions de formation des professionnels des médias et de la justice.
Le débat s’est conclu par la présentation de nombreuses propositions et recommandations à même de promouvoir le processus cumulatif de longue haleine initié à cet égard par la HACA. Ces propositions et recommandations prévoient de conforter et d’enrichir le projet définitif de la Recommandation que le CSCA publiera, en son temps, autour du thème «les médias et la présomption d'innocence», en sus de l’élaboration d’un guide pédagogique destiné aux différentes parties prenantes, en tant que dispositif d'accompagnement, basé sur les exigences légales récemment modifiées, et sur les études menées par l'institution, ainsi que sur la pratique normative et les décisions prises à cet égard par le CSCA.