Invité par l’Université de Beyrouth, Pr. Jamal Eddine Naji Interpelle la langue arabe et les recherches arabes en sciences de la communication
Invité en tant que Président du Réseau International "Orbicom" des Chaires UNESCO en Communications, M. Jamal Eddine a listé les défis présents et d’avenir que la recherche scientifique et universitaire en matière de sciences de la communication et la langue arabe confrontent dans les pays arabes globalement et tenant compte des spécificités sociopolitiques, socioculturelles et sociolinguistiques de chaque société de cette « mosaïque » dite « monde arabe ».
Intervenant, en tant qu’invité d’honneur, à l’ouverture de la 5è Conférence de l’Alliance arabe pour la recherche scientifique et les sciences de la communication, organisée en partenariat avec l’Université de Beyrouth et en son sein (du 29 novembre au 2 décembre), sous le thème de « La problématique des concepts et des terminologies en sciences de la communication dans le monde arabe », M. Naji a listé, dans une synthèse d’une longue intervention, devant un parterre d’experts, d’universitaires et de chercheurs venus de plusieurs pays arabes et étrangers, cinq grands défis ou « registres de réflexion critique » à l’endroit de ce domaine dans nos pays : le patrimoine théorique arabe des sciences de la communication face aux théories européennes et américaines; la sociologie arabe et la sociologie des médias plus spécifiquement; la linguistique arabe en relation avec le domaine de la communication; le droit et le droit des médias dans le monde arabe et, enfin, la praxis des médias, de leurs professionnels et de leurs usages par les publics dans les différentes sociétés arabes.
"Les termes portent des concepts, comme des fusées portent des satellites », commença par déclarer, M. Naji. « Une fois mis en orbite, le terme se détache et laisse le concept prendre sa trajectoire et occuper sa position pour participer à concevoir, à faire naître et à faire vivre une théorie, une approche, une appréhension du réel, souvent destinées ou utiles pour expliquer celui-ci, le comprendre et, idéalement, pour agir sur lui", a-t-il expliqué, notant que la quête du terme mène à une quête du sens, et donc à la connaissance scientifique faite de théories, de postulats, d’hypothèses, d’approches et de méthodologies.
Le chercheur marocain a soutenu, ensuite, que la langue arabe est à interroger dans la mosaïque des contextes qu’elle couvre, relevant, dans ce sens, que "l’enjeu, in fine, est notre imaginaire collectif ou commun, indépendamment des nuances, selon la diversité de nos pays".
"Notre imaginaire d’hier était constitué de légendes, de contes, de rêves, de coutumes, de traditions orales et comportementales, de récits et de littérature. Or, l’imaginaire collectif aujourd’hui, dans le monde arabe comme ailleurs, se constitue, à une vitesse inouïe, de rumeurs virales, de fake news, d’images réelles ou fabriquées fallacieusement, de tweets, a-t-il poursuivi, relevant que "l’enjeu est notre avenir que façonne de plus en plus les outils technologiques et les usages de la communication numérique".
« Y-a-t-il un savoir théorique arabe en sciences de la communication ? que dire de l’état décourageant de notre sociologie ? ? Est-ce que Ibn Khaldoun, dont les Tunisiens et les Marocains, se disputent la mémoire, est à la fois le début et la fin de la sociologie arabe alors qu’il est un des grands pionniers, voire le plus illustre de la sociologie à l’échelle du savoir universel ? Que dire, en conséquence, de nos dictionnaires ? Avons-nous de grands noms, universellement reconnus en le domaine, nous les descendants de ceux, et peut-être celles, qui ont transféré le savoir et la connaissance de certains peuples (les Grecques, les Indous, les Chinois) à d’autres, les Européens justement ? Avons-nous un dictionnaire arabe unifié et par langue étrangère, incontestable, en général et en sciences de la communication en particulier ? Et que dire de la culture du droit en relation avec les médias ou la communication ? Quelles limites d’interprétation, de traduction, de translation, observer, dans notre monde arabe, avec notre langue, quand nous nous forgeons une langue de droit, des éléments de langage relatifs aux médias, à la communication, aux lexiques et terminologies… Comme il est déroutant pour un chercheur arabe en sciences de la communication, à ce jour, de s’interroger valablement sur les pratiques médiatiques de nos médias et de leurs usagers, sur les postures, rôles et missions de nos médias face à nos citoyens… Comme il nous est, ô combien complexe, d’étudier nos usagers des médias et les usages médiatiques de nos citoyens à l’ère numérique… Des déficits de connaissances, de concepts, de termes qui, en plus ou par conséquence, nous rendent peu productifs en études prospectives, en approches anticipatrices sur nos paysages médiatiques, sur nos systèmes de communication et nos systèmes sociaux envahis par les systèmes mondiaux de la communication »…Autant d’interrogations que commenta Pr. Naji, en concluant par cette question : «comment veiller, par l’analyse et la force de proposition du théoricien, du décideur media, du professionnel empirique, à ce que le monde parle à mon concitoyen arabe et que lui- même parle au monde ».