Immersion de la HACA dans le secteur de l’audiovisuel public et privé Suisse
Dans le cadre de sa stratégie d’ouverture, d’échange d’expériences et d’expertise, la Direction Générale de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle a effectué, une immersion dans le secteur audiovisuel suisse à Genève (600.000 habitants) et à Bienne (50.000 habitants) les 05 et 06 avril 2018.
Organisé et piloté par le régulateur, l'Office FédéraI de la Communication (OFCOM), ce voyage d’études et d’échanges a impliqué trois membres de la HACA, le Directeur Général de la Communication Audiovisuelle, M. Jamal Eddine Naji, la Directrice du Département Etudes et Développement Mme Latifa Tayah, et M. Ahmed Zahid, de l’Unité diversité culturelle et linguistique dans les médias qui ont rencontré plusieurs responsables de l’OFCOM, de la Radiotélévision Suisse et de la chaine de télévision privée « Léman bleu ». Cette immersion a permis de mettre en exergue plusieurs aspects d’un secteur audiovisuel qui compose singulièrement avec les mutations numériques.
Le défi de la modernisation de l’audiovisuel public dans un contexte devenu ultra concurrentiel
La Suisse a, au cours de ces derniers mois, été scrutée par de nombreux observateurs et professionnels du secteur de l’audiovisuel à travers le monde. Le débat national suscité par la campagne « No Billag », visant à supprimer la redevance audiovisuelle a donné lieu à un référendum national, sur initiative – possible en Suisse – d’un groupe de jeunes citoyens qui ont appelé à la suppression de la redevance et donc de sa caisse de collecte appelée « Billag ». Au-delà du débat sur le financement de la radio et de la télévision par les contribuables, la question de la légitimité du service public audiovisuel s’est posée à travers cette initiative, aussi bien inédite qu’inattendue, et a donc suscité un intérêt partagé par toute la population suisse. L’initiative a été rejetée par référendum le 4 Mars dernier par près de 80 % des citoyens (es) de ce pays. En toile de fond, elle revenait à s’interroger : à l’heure du numérique, de la multiplication des canaux d’informations, reste-t-il une valeur ajoutée et une légitimité à l’audiovisuel public ?
Les citoyens Suisses, majoritairement favorables au paiement de la redevance.
La population suisse a donc, dans sa grande majorité, répondu non à la suppression, suite, à une forte campagne contre ladite initiative, menée par des milieux influents sur l’opinion publique, des politiques, des intellectuels, des artistes et des professionnels des médias publics et privés. Les débats, lors de cette campagne, ont mis en évidence que la mission de service public audiovisuel constitue un acquis démocratique, un garde-fou servant de curseur à l’ensemble du secteur en produisant des contenus dont la qualité doit servir d’exemple, de référent à l’ensemble des acteurs du secteur. Et surtout une garantie agissante pour la préservation de la forte diversité qui caractérise exceptionnellement le pays (une Fédération de Cantons), avec quatre communautés, parlant quatre langues reconnues : Français, Allemand, Italien et Romanche.
Le débat national a permis, lors de la campagne référendaire, de réhabiliter l’audiovisuel public et la nécessité d’une régulation responsable et exigeante pour le futur, en dotant les opérateurs de l’audiovisuel d’outils pour mettre en place des mécanismes pouvant garantir le pluralisme politique, la diversité des opinions, des cultures et des langues, mais aussi le respect de la déontologie professionnelle des médias et les valeurs éthiques qui les guident.
La Radiotélévision Suisse, de même que la télévision privée « Léman bleu », visitées par la délégation de la Haca, disposent, par exemple, d’une large (liberté éditoriale), mais sous le regard vigilant des régulateurs : l’OFCOM et une Autorité Indépendante en matière d’examen des plaintes et de radiotélévision pour réguler le pluralisme politique, garantir la diversité, et faire respecter la déontologie.
L’audiovisuel public acculé à se moderniser.
En outre, le débat national a constitué une opportunité pour l’ensemble des professionnels du secteur qui ont recensé collectivement l’ensemble des défis à relever pour moderniser l’audiovisuel public. En effet le « oui » majoritaire issu des urnes, en faveur de la redevance, est assorti d’une conditionnalité. Les citoyens suisses sont d’accord pour payer mais cela doit s’accompagner d’une transformation innovante de l’audiovisuel public avec, notamment la consolidation de la production audiovisuelle nationale, en particulier locale et régionale. En somme, produire ce que les concurrents étrangers ne peuvent offrir aux Suisses.
L’innovation du service public audiovisuel passe également par le développement de la collaboration entre médias privés et publics afin de mutualiser les ressources, en particulier avec les médias de proximité.
Dans le cadre de la nouvelle concession signée entre le régulateur et le pôle public, au lendemain de ce référendum, une obligation porte sur le renforcement du dialogue avec les usagers du service public audiovisuel.
Enfin, la télévision à la demande, le streaming, transforment considérablement les formats de la télévision classique amenée aujourd’hui à proposer de la valeur ajoutée que ne peuvent assumer les plateformes numériques. A titre d’exemple, la télévision suisse va renforcer les émissions de direct au détriment de la fiction, et le documentaire mis à disposition sur les plateformes numériques.
A n’en pas douter, les résultats du débat national suisse, qui a mobilisé tant les citoyens, les acteurs de la société civile ainsi que les professionnels des médias peuvent constituer une source d’inspiration pour bien des pays. C’est pourquoi le fruit et les propositions qui en émanent devront être suivis de près, non pour être dupliqués mais pour être pris en compte et adaptés, tant ils touchent à des enjeux communs à l’ensemble des pays aspirant à renforcer la mission du service public audiovisuel.
Quel rôle pour le régulateur dans un contexte de mutation accélérée des paysages audiovisuels ?
Cette visite à l’OFCOM a permis à la délégation de la Haca de mieux appréhender la transition de la régulation à la co-régulation. L’OFCOM laisse le soin à la SSR (service public radio et télévision) de définir ses propres normes de qualité, de les publier, de contrôler leur mise en œuvre et de publier les résultats issus des contrôles internes.
Toutefois, de très nombreux gardes fous contribuent à faciliter cette mutation vers l’autorégulation. En effet, les opérateurs de l’audiovisuel, et en particulier de l’audiovisuel public, sont dotés de contrôles internes et externes (conseils du public, conseils d’administrations, contrôles du système de gestion de la qualité…). En outre, les diffuseurs sont soumis à une évaluation tous les deux ans, opérée par une entreprise de leur choix reconnue par l’OFCOM. Les évaluateurs consignent les résultats dans un rapport et proposent des mesures.
La philosophie de l’approche du régulateur helvétique peut se résumer comme suit :
- Responsabiliser les éditeurs de contenu ;
- Donner au public les données/informations nécessaires pour se forger une opinion sur l’accomplissement des mandats de prestation de la part des diffuseurs ;
- Stimuler une discussion publique bien documentée et raisonnée sur le rôle des médias ;
- Eviter toute influence politique sur le rôle des médias.
L’audiovisuel privé en mutation permanente.
Dotée de 42 radios et 13 télévisions privées, la Suisse peut se targuer, compte tenu de la taille de sa population (8,5 millions), d’un secteur audiovisuel privé dynamique.
La visite de la Télévision Léman Bleu a permis de découvrir un modèle de télévision privée qui a dû opérer plusieurs transformations pour s’adapter à la concurrence et aux attentes du public. L’agilité journalistique offerte par le numérique a pu s’opérer au service de la qualité et de la réduction des coûts. C’est ainsi que cette télévision est structurée autour de nombreuses émissions phares diffusées en direct sur des sujets ou événements qui touchent les citoyens Suisses de très près. Alors que le principal matériel utilisé est très léger et donne une grande souplesse au journaliste pour réaliser ses sujets. Le smartphone constitue ainsi le premier outil de travail des reporters, avec une qualité de l’image améliorée grâce à un terminal de réception et de transformation de la qualité de l’image, via une multi connectivité à l’Internet.
Relevons, enfin, que ces rencontres entre la HACA et les responsables des politiques publiques des médias suisses, en particulier, ont constitué une occasion propice pour la délégation marocaine de promouvoir la dynamique internationale soutenue par l’instance marocaine de régulation dans le cadre des réseaux internationaux de régulation dont la Haca est membre actif et parfois membre fondateur. Ceci, en plus des systèmes informatiques élaborés par la Haute Autorité, lesquels systèmes se placent aujourd’hui au centre de l’intérêt de plusieurs pays d’Afrique comme de l’Europe.