Des experts s’interrogent au siège de l’UNESCO : « Pourquoi le journalisme est de plus en plus sous le feu de la critique ? »
Sous cette large et fort actuelle interrogation, l’UNESCO a organisé, en son siège à Paris, le 23 mars, deux tables rondes en quatre sessions, animées par près d’une vingtaine de panelistes et plus d’une centaine de participants et participantes, experts, décideurs de médias, chercheurs, responsables de politiques publiques, ambassadeurs auprès de l’UNESCO, responsables d’instances de régulation, d’unions de professionnels (es), d’ONG des droits de l’Homme…
« Sans presse, nuit profonde », disait Victor Hugo, cité ainsi, dans une allocution d’ouverture, par Mme Irina Bokova, Directrice Générale de l’UNESCO, pour souligner que « si les journalistes éclairent, ils sont de nos jours sous les feux de la violence, des conflits et violations, comme de la critique ». Rappelant que la nature essentielle et originelle des médias et du journalisme est de développer et de promouvoir l’esprit critique, Mme Bokova a insisté sur la nécessité d’une « éducation aux médias », levier indispensable, entre autres, pour rencontrer les objectifs 2030 du développement durable, dans la perspective de consolider un environnement de liberté et de pluralisme, « on line et hors line », qui puisse permettre l’émergence d’un citoyen éclairé, capable d’agir positivement dans la « cité démocratique ».
« Susciter l’esprit critique avec professionnalisme et rigoureux respect de l’éthique est la seule mission des médias qui sont, par nature originelle et par praxis dans la démocratie, au service du public », déclara, pour sa part, M. Frank La Rue, Sous-Directeur Général de la Communication et de l’Information à l’UNESCO. « La vérité, poursuit-il, est un processus, elle se construit sur la base du dialogue, après que la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information soient, dans quelconque contexte, acquis, défendus et effectifs ». Mais, ajoute-t-il, « dans notre monde actuel, il nous faut aider la population, les citoyens, à comprendre les médias, à savoir comment utiliser les médias, c’est-à-dire les nouveaux médias qui sont ouverts désormais au simple citoyen et en ses mains, comme en témoigne la réalité envahissante, partout dans le monde, des réseaux sociaux qui, de plus en plus, deviennent même des sources pour les médias traditionnels avec tous les risques de fausses nouvelles et de graves manquements à la vérité, aux droits et à l’éthique ».
Une des quatre sessions de débats consacrées lors de cette journée portait effectivement sur le défi lancé au journalisme par les nouveaux médias, aux réseaux sociaux et aux algorithmes des géants du WEB (les « GAFA ») : « Crise d’audience, réseaux sociaux, désinformation générée par ordinateur ». Alors qu’une session était dédiée aux « modèles économiques et nouvelles technologies », une autre au défi lancé par la médiasphrère à la démocratie représentative par « l’émergence des mouvements politiques identitaires », en plus d’une table ronde totalement consacrée à « L’éducation aux médias » et à l’éthique dont, souligne-t-on, dépend déjà l’avenir de la formation au journalisme.
Dans son intervention lors de ces débats, M. Jamal Eddine Naji, Directeur Général de la HACA, a relevé comme principaux défis qu’affrontent aussi bien la démocratie représentative que le journalisme en tant qu’activité humaine et professionnelle structurante de la démocratie et de la citoyenneté qu’elle requiert, notamment dans les pays du sud, dits « info-pauvres » :
- L’appropriation, professionnellement, par les journalistes et les médias, de l’information locale, du réel vécu par les populations dans la proximité de leur quotidien, information qui est la plus dominante dans les nouveaux médias et les réseaux sociaux au point, dit-il, qu’elle explique en grande partie l’audience de ces supports qui tasse, réduit, continuellement celle des médias dits traditionnels, pôle public en premier. Dans ces pays, poursuit-il, les phénomènes dominants que sont la jeunesse, le chômage des diplômés, ajoutés à la connectivité qui s’offre de plus en plus aux petits centres urbains et même ruraux, favorisent, légitimement et naturellement, la création de blogs, de « journaux » électroniques, de sites et plateformes qui, forcément, investissent et exploitent la vie locale, ses informations comme ses rumeurs et fausses nouvelles ou « fake news »…Surtout, quand l’information locale est bannie par le système informationnel national et/ou méprisée par les médias traditionnels qui sont toujours fascinés par le Centre, la capitale ou l’information internationale qui fait le « buzz » dans les pays dits « info-riches »;
- Ce que, ajoute M. Naji, désigne comme première bataille à mener dans ces pays : une loi d’accès à l’information qui libère et l’information et les sources d’information, au plan national comme au plan local et ceci dans tous les secteurs d’activité de l’?tat, des paliers représentatifs ou niveaux d’élus, de toute la société en général ;
- La 2ème bataille, ou ligne de défense à mener contre le dévoiement du journalisme, en crise de crédibilité du fait des « avatars » de la médiasphrère digitale, est de réunir tous les leviers et conditions nécessaires pour une autorégulation effective au sein des médias traditionnels et nouveaux, de par l’institutionnalisation de chartes éthiques et de conseils ou organismes de pairs qui veillent aux bonnes pratiques des journalistes et professionnels de contenus, avec l’appui, de référence, d’organismes internationaux, comme Article 19 ou la FIJ, qui militent, à la fois, pour le « prestige » ou « noblesse » de ce métier et pour son sens de la responsabilité duale requise en démocratie : responsabilité professionnelle et éthique. L’autorégulation, à laquelle appela également M. Frank La Rue, peut même mener, selon M. Naji, à un système de certification ou de labélisation, qui distinguerait un journaliste, un média – nouveau ou traditionnel – par les voix de ses pairs, par l’ensemble de sa profession dans un pays donné.