Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle
Publié sur Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (https://www.haca.ma)

Accueil > Décision du CSCA n° 36-10

-A [1] +A [1]

Décision du CSCA n° 36-10

03 juin 2010

 DÉCISION DU CSCA N° 36-10 DU 17 JOUMADA II 1431 (1ER  JUIN 2010)

RELATIVE AU NON RESPECT DES DISPOSITIONS REGISSANT LA PROTECTION DU JEUNE PUBLIC

 ET LA COUVERTURE DES PROCEDURES JUDICIAIRES DANS L’EMISSION « BISSARAHA » DIFFUSEE SUR LES SERVICES RADIOPHONIQUES

« RADIO PLUS MARAKKECH » ET « RADIO PLUS AGADIR »

 

 

Le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle,

 

Vu le dahir n° 1-02-212 du 22 Joumada II 1423 (31 août 2002) portant création de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle tel que modifié et complété, notamment son préambule et ses articles 3 (alinéas 8 et 11), 11, 12 et 16 ;

 

Vu la loi n° 77.03 relative à la communication audiovisuelle, promulguée par le Dahir n° 1-04-257 du 25 Kaâda 1425 (7 janvier 2005), notamment son préambule et ses articles 3, 9 (dernier alinéa) et 26 (alinéa 14) ;

 

Vu les cahiers des charges encadrant les services radiophoniques de proximité non relayes dénommés « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR » édité par la Société « RADIO PLUS SA », notamment leurs articles 5, 6, 8 (paragraphes 2 et 5) ,9 et 33 ;

 

Après avoir pris connaissance des documents relatifs à l’instruction effectuée par les services de la Direction Générale de la communication audiovisuelle dans le cadre des missions habituelles de suivi des programmes diffusés par les services de communication audiovisuelle ;

 

ET APRES EN AVOIR DELIBERE :

 

Attendu que, conformément aux dispositions de l’article 3 de la loi 77.03 relative à la communication audiovisuelle et l’article 9 des cahiers des charges encadrant les services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR », la communication audiovisuelle est libre ;

 

Attendu que,  en application de ce principe, l’opérateur est libre de traiter de toutes les questions sociales qu’il choisit et ce, dans le respect des dispositions légales et réglementaires en vigueur ainsi que les dispositions des cahiers des charges encadrant les services radiophoniques qu’il édite, en particulier, celles se rapportant à la protection du jeune public et à la couverture des procédures judiciaires ;

 

Attendu que, l’émission « Bissaraha », diffusée par les services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR », a abordé, lors de ses éditions des 09 et 13 avril 2010, la question d’abus sexuels sur des enfants ;

 

Attendu que, lors de l’édition du 09 avril 2010, le témoignage de la mère d’un enfant victime d’abus sexuels a été diffusé et que, lors de l’édition du 13 avril 2010, l’enfant victime de ces abus a été réveillé à 23h10, sur l’insistance de l’animateur, qui l’a interrogé et poussé à témoigner et à relater tous les détails inhérents aux abus sexuels dont il a été victime ;

 

Attendu que les questions posées à l’enfant par l’animateur ont été comme suit : « Est-ce que tu gardais tes vêtements sur toi ou bien tu les enlevais ? », « Tu ôtais juste le pantalon ?», « Combien de temps restais- tu avec lui ?», « Est ce qu’il enlevait ses vêtements ou pas ?», « Combien de fois étais-tu allé avec lui ? » ;

 

Attendu que l’article 3 de la loi 77.03 relative à la communication audiovisuelle dispose que « La communication audiovisuelle est libre. Cette liberté s’exerce dans le respect de la dignité de la personne humaine… » ;

 

Attendu que l’article 9 de la même loi dispose que : « Sans préjudice des sanctions prévues par les textes en vigueur, les émissions et les reprises de programmes ou de parties de programmes ne doivent pas être susceptibles de : … porter préjudice aux droits de l’enfant tels qu’ils sont universellement reconnus. » ;

 

Attendu que, le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle considère qu’un enfant, en général, eu égard à sa fragilité tant physique, mentale que psychique, requiert une attention particulière et la mise en place de mesures préventives, mettant ses intérêts au premier plan ;

 

Attendu que, les enfants en situation difficile, tout particulièrement, ont besoin d’attention et de mesures spécifiques en vue de les prémunir contre tout ce qui est de nature à porter atteinte à leur intégrité tant physique que psychique et ce, eu égard à leur fragilité et à leur sensibilité, notamment psychiques ;

 

Attendu que, après écoute de l’édition de l’émission « Bissaraha » du 13 avril 2010, le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle considère que le fait de réveiller un enfant en situation difficile - ayant été victime d’abus sexuels - de son sommeil à une heure tardive sur insistance de l’animateur, le soumettant, de surcroit, à l’interrogatoire indiqué ci-dessus et le poussant à témoigner et à relater tous les détails inhérents aux abus dont il a été victime, constitue une manière de ressusciter en ce même enfant une souffrance psychologique née desdits abus, exposant ainsi sa santé psychique au danger ;

 

Attendu que le Conseil Supérieur considère que les agissements de l’animateur susmentionnés constituent une enfreinte avérée des dispositions de l’article 3 (alinéa 3) de la loi 77.03 qui incite à exercer la liberté de la communication audiovisuelle dans le cadre du respect de la dignité humaine, ainsi que des dispositions de l’article 9 (dernier alinéa) de la même loi qui stipule que l’opérateur est tenu de ne pas porter préjudice aux droits de l’enfant tels qu’ils sont universellement reconnus, surtout que la protection et la préservation de la santé physique et psychique de l’enfant  occupent une place prépondérante dans les conventions et les protocoles internationaux y afférents ratifiés par le Royaume du Maroc ; 

 

Attendu que, en sus de ce qui est exposé ci-dessus, la même émission, lors de son édition du mardi 20 avril 2010, a abordé une affaire concernant un double homicide survenu près de la ville de Taroudant, diffusé par les services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR » ;

 

Attendu qu’il a été procédé, lors de cette édition à la diffusion d’un témoignage de la sœur des victimes du double homicide susmentionné, laquelle a révélé les identités des suspects dans cette affaire et ce, en les accusant d’user de la corruption par le biais d’un intermédiaire, en les citant tous par leurs noms et prénoms ;

 

Attendu que, l’article 8.2° des cahiers des charges de l’opérateur relatif à la couverture des procédures judiciaires dispose que : « Dans le respect du droit à l’information, la diffusion d’émissions, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires ou des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire, nécessite qu’une attention particulière soit apportée au respect de la présomption d’innocence, au secret de l’instruction, au secret de la vie privée et de l’anonymat des personnes concernées, et particulièrement des mineurs.

…que lorsqu’une procédure judiciaire en cours est évoquée à l’antenne, l’opérateur doit veiller à ce que (a) l’affaire soit traitée avec neutralité, rigueur et honnêteté ; (b) le pluralisme soit assuré par la présentation des différentes thèses en présence, en veillant, notamment, à ce que les parties en cause ou leurs représentants soient mis en mesure de faire connaître leur point de vue » ;

 

Attendu que, en date du 20 Joumada II 1426 (27 juillet 2005), le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle a rendu une recommandation concernant la couverture des procédures judiciaires par les opérateurs de la communication audiovisuelle ;

 

Attendu que, lors de cette édition, l’opérateur n’a pas veillé au respect de ces dispositions lorsqu’il a permis à une auditrice, lors de son intervention, de révéler les identités des suspects, en les accusant en sus d’user de la corruption via un intermédiaire entre lesdits suspects et des fonctionnaires de la justice en révélant également leurs identités, et sans permettre à ces derniers d’exprimer leur point de vue ;

 

Attendu qu’au vu de ce qui précède, l’opérateur a enfreint les dispositions de l’article 8.2° de son cahier des charges, notamment celles afférentes à l’obligation de respecter la présomption d’innocence, et la non divulgation de l’identité des personnes impliquées, sans leur permettre d’exprimer leur point de vue ;

 

Attendu qu’en vertu de l’article 6 de ses cahiers des charges, l’opérateur doit conserver, en toutes circonstances, la maîtrise de son antenne, et il prend, au sein de son dispositif de contrôle interne, les dispositions et les mesures nécessaires à cet effet ;

 

Attendu que, l’article 3 (alinéas 8, 11 et 16) du Dahir n°1-02-212 portant création de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle dispose que le Conseil Supérieur de la communication audiovisuelle : « veille au respect, par tous les pouvoirs ou organes concernés, des lois et règlements applicables à la communication audiovisuelle », « contrôle le respect, par les organismes de communication audiovisuelle, du contenu des cahiers de charges et, de manière générale, le respect, par lesdits organismes, des principes et règles applicables au secteur » et « sanctionne les infractions commises par les organismes de communication audiovisuelle ... » ;

 

Attendu que, l’article 33 (alinéas 1 et 2) des cahiers des charges encadrant ce service radiophonique, pris en application des dispositions de l’article 26 de la loi 77.03 relative à la communication audiovisuelle, dispose que : « Sans préjudice des autres pénalités prévues par la réglementation en vigueur, le Conseil Supérieur peut décider à l’encontre de l’Opérateur une sanction pécuniaire, dont le montant doit être fonction de la gravité du manquement commis... » et que « En cas de manquement à une ou plusieurs dispositions ou prescriptions applicables au Service ou à l’Opérateur, et sans préjudice des pénalités pécuniaires visées ci-dessus, la Haute Autorité peut, hormis ses décisions de mise en demeure, prononcer à l’encontre de l’Opérateur, compte tenu de la gravité du manquement, l’une des pénalités suivantes : L’avertissement ; La suspension de la diffusion du service ou d’une partie du programme pendant un mois au plus; La réduction de la durée de la licence dans la limite d’une année ; Le retrait de la licence » ;

 

Attendu que, eu égard aux explications et informations fournies par l’opérateur dans sa lettre du 31 mai 2010 en réponse à la lettre qui lui a été adressée par la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle  datée du 17 mai 2010 ;

 

Attendu que, en considération de tout ce qui précède, il échoit de prendre à l’encontre de l’opérateur « RADIO PLUS SA » des sanctions en adéquation avec la gravité des manquements commis lors des éditions diffusées les 13 et 20 avril 2010, concernant, respectivement, la non protection du jeune public et le non respect des dispositions afférentes à la couverture des procédures judiciaires ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

  1. Déclare que la société « RADIO PLUS SA » éditrice des services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH» et « RADIO PLUS AGADIR »  n’a pas pris en considération la situation psychique difficile de l’enfant dont le témoignage a été recueilli  et ce, en exposant sa santé psychique au danger, ce qui constitue une violation avérée des dispositions des articles 3 (alinéa 3) et 9 (dernier alinéa) de la loi 77.03 ;
  1. Déclare que la société n’a pas respecté les dispositions de l’article 8.2° des cahiers des charges encadrant les services radiophonique « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR », particulièrement celles afférentes à la présomption d’innocence, la non divulgation de l’identité des personnes concernées, et la nécessité de leur permettre d’exprimer leur point de vue ;
  1. Ordonne la suspension de l’émission « Bissaraha » diffusée par les services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR » pendant une semaine, à compter du jour suivant la date de la notification de la présente décision à la société « RADIO PLUS SA » ;
  1. Ordonne l’application à la société « RADIO PLUS SA » d’une sanction pécuniaire d’un montant de Trente Mille (30.000,00) Dirhams payable dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la présent décision ;
  1. Ordonne, conformément aux dispositions de l’article 33.2 des cahiers des charges encadrant les services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH» et « RADIO PLUS AGADIR » la diffusion sur ses antennes du communiqué ci-après juste avant la suspension de l’émission durant toute la semaine visée au paragraphe 2 ci-dessus:

 

« En application de la décision du Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle, prononcée le 1er juin 2010, à l’encontre de la société « RADIO PLUS SA », éditrice des services radiophoniques « RADIO PLUS MARRAKECH » et « RADIO PLUS AGADIR », il a été décidé de suspendre l’émission « Bissaraha » pour une durée d’une semaine du vendredi 04 juin au jeudi 10 juin 2010 compris, et d’appliquer une sanction pécuniaire de Trente Mille (30.000,00) Dirhams à ladite société.

 

Cette décision a été rendue par le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle suite aux manquements relevés lors des deux émissions « Bissaraha » diffusées les 13 et 20 avril 2010 et qui contenaient respectivement le témoignage d’un enfant mineur victime d’abus sexuels recueilli de manière à porter préjudice à sa santé psychique, et la couverture d’un double homicide commis près de la ville de Taroudant où les dispositions afférentes à la couverture des procédures judiciaires n’ont pas été respectées ».

 

  1. Ordonne la notification de la présente décision à la Société « RADIO PLUS SA », ainsi que sa publication au Bulletin Officiel.

 

 

Délibérée par le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle lors de sa séance du 17 joumada II 1431 (1er juin 2010), tenue au siège de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle à Rabat, où siégeaient Monsieur Ahmed Ghazali, Président, Madame Naïma El Mcherqui, et Messieurs Salah Eddine El Ouadie, Ilyas El Omari, Mohammed Affaya, El Hassan Bouqentar et Abdelmounïm Kamal, Conseillers.

 

 

Pour le Conseil Supérieur

de la Communication Audiovisuelle,

Le Président

Ahmed Ghazali

 

 


Liens
[1] https://www.haca.ma/fr/javascript%3A%3B